Premiére époque

[philipos]

Départ et souvenirs

1er octobre, hall d'embarquement pour Mars. Ah ! Non en fait. Le panneau à cristaux liquide du hall m’indique que nous sommes le jour du Vautour de la période Tepeilhuitler… ca commence bien. J’ai comme l’impression qu’il va falloir que je me documente sur les us et coutumes de cette planète si je ne veux pas être complètement largué.
Je prends mon tour dans la file des nouveaux colons. A voir l’air hagard de la plupart des autres, je comprends que je ne suis pas le seul à me demander où j’ai foutu les pieds. On voit des panneaux avec des photos des infrastructures marsiennes, d'autres representant des types portant des scaphandres tellement sophistiqués qu’on dirait plutôt des armures de combat modernes que des tenues de travail. Combat ? La surface de cette planète ne serait donc pas sûre ? On ne m’en avait pas parlé quand on m’a fait signer sur Terre…. A croire que même à des millions de kilomètres de distance, je n’allais pas pouvoir changer de vie et oublier….

Terre, Afrique de l’est, des années plus tôt.

Bon sang de soleil de plomb ! Le thermomètre indique 51 degrés. Je serais curieux de savoir combien il fait à l’ombre. S’il y avait de l’ombre… Mais bon, c’est certain que le désert nord Djiboutien n’est pas un lieu de villégiature à la mode. A part une éventuelle caravane transportant du sel, on ne risque pas de croiser grand monde. Il suffit de regarder autour de soi pour comprendre pourquoi ce paysage apocalyptique a servi pour tourner des scènes du film La Planète des Singes à une époque.

On crève de chaud mais le pire est sans doute le taux d’humidité de 88% qui nous fait nous déshydrater vitesse grand V. 3 bouteilles de flotte par jour pour rester en vie dans cette fournaise, et ca pèse lourd dans un sac. OK, moins lourd que les pavés qu’on nous avait collés dans nos sacs pour le grand raid, l’épreuve finale du stage commando chapeauté par la légion étrangère à Arta plage il y a 2 mois de cela, mais quand même.

Avec tout ca, on arrivait au terme de notre trajet. Le bout de désert bordant la frontière Ethiopienne où des abrutis de rebelles érythréens passaient pour aller piller plus au sud, déclenchant ainsi une alerte SABO. Juste quand mon Commando était d’alerte… Nous y voila. Chacun prend son équipement, l’équipe feu se charge de la lourde AA-52 et des caisses de bandes de munitions tandis que je sors mon FRF1 de sa housse et revérifie pour la nième fois que le boitier contenant la lunette est bien dans mon sac. Nous savons qu’il va falloir marcher 5 km avant d’être en zone chaude, le temps d’en baver un peu et surtout, de gamberger à ce qui va se passer. Les coups d’œil fuyants de mes potes me confirment que personne ne se sent à l’aise et que l’idée d’avoir peut être à tuer ne nous sourit guère. Mais qu’est-ce qu’on fout là ?
On approche, la tension est encore montée d’un cran, la ligne imaginaire inventée pat les hommes pour séparer 2 pays est à moins de deux kilomètres. Mon lieutenant se rapproche de moi :
« Tu vois le dragonnier devant à gauche ? Débrouille-toi pour y grimper et t’installer au mieux. Je te recontacte par radio »
« Tout de suite mon lieutenant »

Jambes un peu flageolantes, cœur battant la chamade… je me rapproche de l’arbre, cherche des prises et m’y hisse tant bien que mal. J’ouvre mon sac, prend la radio et la lunette APX, allume la première et installe la seconde. J’ai mal aux fesses sur cette grosse branche, je tente de gagner en confort sans perdre en stabilité en m’asseyant sur mon sac. Le temps passe… j’en profite pour faire un rapide tour d’horizon en regardant dans ma lunette. Rien d’exceptionnel à part un gus assez loin sur une petite hauteur qui regarde par intermittence dans ses jumelles. On voit de suite que c’est pas un pro, il est debout bien visible et une vieille AK est posée au sol à ses pieds. Le matos russe est peut être solide et rustique, mais je pense pas que le sable dans le canon ou la culasse arrange ses affaires. Enfin, la bonne nouvelle c’est qu’il semble rien y avoir de dangereux la dedans. On va peut être pouvoir rester tranquilles. Grésillements…
- Solo de Leader, Solo de Leader.
- Reçu Leader
- Topo. Nous sommes un peu devant à l’est. Pic Vert se met en position avec vue sur le passage. D’après info avion, ils sont une vingtaine de rebelles en bivouac derrière l’espèce de colline. Tant qu’ils restent là ils sont du bon coté, mais s’ils viennent par là il faudra intervenir. Je check une distance et je te recontacte. Terminé.
- Reçu

Bon, la mitrailleuse se mettait donc en place et pourrai balayer la zone. Si le zozo aux jumelles a bien fait son boulot, il a bien dû voir qu’il y avait du monde et ca devrait leur enlever toute envie de jouer aux cons. Jusqu’à maintenant, les rebelles évitaient tout accrochage avec des troupes régulières non locales. Ils savaient que le matériel et l’entrainement dont nous disposions leur laissaient très peu de chance.
- Solo de Leader, Solo de Leader.
- Reçu Leader
- Si les gus rappliquent, le groupe Faucon devra se déplacer pour pas être dans l’axe du pic vert. Mais pour ça, faudra passer à découvert par rapport au gonze en hauteur à l’ouest avec des jumelles. Tu l’a en mire ?
- Affirmatif.
- OK. Tu es à 130 mètres derrière moi et je suis à 1210 mètres du type. Comme on n’est pas alignés ca te fait environ 1170 mètres de lui. Vent de 3 mètres/seconde venant de 117 degrés de ta ligne. Je sais que ca fait loin et que c’est pas facile, mais tu as déjà fait plus long et le vent est bon. Je te laisse te régler et te rappelle. Terminé.
- Cible en hauteur avec jumelles. Je me règle. Reçu leader.

Putain le con ! Tu m’étonnes que ca fait loin. Avec une portée utile de 800m il va falloir que je prenne en compte la courbe de descente ainsi que la « portance » de l’air brulant si prés du sol. Ok j’ai déjà dégommé une cible à 1200m au pas de tir, mais elle était en carton….

Je sors mon calepin où j’ai noté toutes mes remarques au fil des tirs suivant distances, vents et angles pour régler ma hausse et mes clics. Je fais mes réglages d’une main tremblante, fais et refais mes calculs dans la tète. Je réfrène un fou rire nerveux en pensant que je fais des calculs dans ma tète pour loger une balle de 7.62 dans celle d’un type que j’ai jamais vu, qui ne m’a jamais vu non plus et qui ne me verra certainement jamais si………
- Solo de Leader, Solo de Leader.
- Reçu Leader
- En place ?
- Affirmatif.
- Alors en joue. Le prochain appel sera pour confirmation de tir ou pour rentrer. Terminé.
- R… Reçu Leader.

Dualité……
Une partie de moi se sent forte, puissante d’être du bon coté du canon de cet engin de mort à viser cet homme. Cet homme qui ne se doute pas qu’a plus d’un kilomètre un autre homme tout juste sorti de l’adolescence peut lui ôter la vie en appuyant son index sur une queue de détente. Cet homme qui vient piller des vivres dans des villages djiboutiens pour nourrir leur groupe qui se bat pour l’indépendance de leurs terres… Quelle merde ! C’est ma partie humaine qui vient de me hurler ça dans le crane. A cette distance c’est tout juste s’il peut apercevoir l’arbre dans lequel tu es perché comme un singe et toi tu veux le buter ?
Bien sur que non je veux pas !
Alors qu’est-ce que t’espère hé banane ?
Que la confirmation ne vienne pas.
Et si elle vient ?
Ben, je ferai feu.
T’auras qu’à le rater.
Si je le rate, lui ne ratera peut être pas mes potes la bas.
Alors tu vois bien que tu veux le buter.
NOOOOOOOOOOOOOOONNNNNNNNNNN !!!!!

Mais c’est pas vrai. Qu’est-ce que je fous dans cette galère ? Et ce con la bas avec ses jumelles qui donne pas l’alerte, il a donc rien vu ce cretin ? Au lieu de mâcher du khat il ferai mieux de faire son boulot et de surveiller. Au lieu de ça si lui et ses copains décident de franchir la ligne ils vont tomber sur 16 fusillers commandos parachutistes prêts à les tailler en pièces. Ah quand même. Il ramasse son arme et se retourne pour parler derrière lui en contre bas. Il va ficher le camp ? Allez… barrez vous quoi… Mais ? Non, il a pas l’air de s’affoler ce gland. Il se dirige pépère vers le chemin qui mène au passage. CASSE-TOI ABRUTI ! J’aimerai tant lui gueuler ca aux oreilles à lui claquer les tympans. Mais à plus d’un kilomètre, autant pisser dans un violon….
- Solo de Leader, Solo de Leader.
- ……………….
- Solo de Leader !, Solo de Leader !
- ……… Reçu Leader
- Confirmation………….


Colon ? Colon…….. ? Votre accréditation s’il vous plait.
Je sors d’un brouillard, mélange de rêve et de sang. Je tends ce que l’employé de la Firme me demande d’une main tremblante et moite, pris d’un vertige du retour au présent dans ce hall grouillant de monde.
« Excellent. Vous allez être amené en ZDV1 où se trouve votre bunker sur votre zone d’exploitation. Passez à l’équipement pour la perception de votre scaphandre de terraformeur gracieusement offert par la Firme. Je vous souhaite un bon séjour sur Mars. Et souvenez vous « Vivre pour travailler et non pas travailler pour vivre ». Bonjour chez vous. »

Vivre ? Oui. Mais à quel prix ?